DISCOTAN d’Asymptote, juillet 2021

Voyager à travers les musiques et poèmes du monde
(extraits de Your Name Palestine inclus)

Jérémy Victor Robert lit des extraits de Your Name Palestine, Jill Reading,
novembre 2023


LIEN

Kareem James Abu Zeid lit des extraits de Chaos, Crossing, Jill Readings,
novembre 2022

LIEN

25 Novembre, 2023

Signal, inédit

À des milliers milliers de kilomètres des immeubles
s’effondrent sur les Vivants comme des châteaux de cartes


à chaque explosion maison vibre vont-ils débarquer
chez moi brandissant documents portant sceau divin


comme si Dieu était un Moghul de l’immobilier gérant
du haut du ciel un réseau baptisé Colony

/
Aurais tant voulu parler de choses bonnes & belles
printemps éclatant lilas & marronniers en fleurs


me revoilà au milieu de la nuit assemblant ces images
que je veux repousser


me revoilà tirant sur la chemise pour me protéger des
tanks qui écrabouillent mon cœur

/
Pour vivre il nous faut mourir mourir non de mort
naturelle comme les gens ordinaires


mourir pour acquitter le tribut du sang à répétition
surtout avant chaque élection


car la Mort passagère clandestine des navires jamais
n’a lâché prise

dès son arrivée nous choisit pour cible pilote
sur le mur d’écrans des bunkers drones & missiles

/
Une heure pour évacuer la tour*
dit la voix anonyme


le signal : deux coups avant de frapper
à l’autre bout du fil là-bas dans le ghetto
la voix répète en écho
deux coups avant de frapper

*Réfère au bombardement par air, en mai 2021, de l’une des tours les plus modernes de
Gaza qui abritait, à côté, d’appartements privés, des bureaux, notamment ceux de The
American Associated Press (AP) et d’Al Jazeera. Publié dans sa traduction anglaise sur le
site de 128 LIT en avril 2023.

Migration des étoiles

Dans ce pays les étoiles n’étaient pas stabilisées

elles pouvaient tout aussi bien s’envoler d’un seul coup     migrer vers des contrées où le bonheur est moins précaire         

et c’est ce qui arriva

en fait il en était ainsi de tout     la vie même pouvait s’envoler     l’eau s’arrêter de couler          la maison et le champ s’évanouir     comme ça pschitt      à leur place       un Mur bouche l’horizon

une maison de béton surgissait     bientôt suivie  de milliers d’autres     toutes semblables        

habiter auprès était comme camper      au bord d’un volcan prêt à exploser      la nuit les laves jaillissaient      les loups rôdaient       babines retroussées

les femmes avaient beau lancer des cailloux      faire des nœuds à leur mouchoir accrocher des perles bleues ou de petites croix      au cou des enfants       il y en avait tous les jours davantage

savez-vous le bruit que fait un olivier qui s’écroule racines à l’air ?

et celui d’une balle frappant un homme en plein front ?

(Chaos, Traversée)

Feu de la brûlure

Je suis née 
en ce temps
éruptif        
où mon pays       
changeait de nom  

Je suis née 
en ce temps
sismique    
qui engloutisssait       
jusqu’au nom
de mon père
et du père
de son père

la terre
tremble toujours    
et l’ombre
de la prison
s’étend

j’ai grandi
sur le volcan
d’une terre d’expiation
élue par un Dieu
surgi d’un buisson ardent
ses geysers de sang
illuminent la nuit
sauvage

combien
de temps encore
corps et âme
passés au feu
de la brûlure 

(Chaos, Traversée)

Sacrifice

Pourquoi devrais-je payer
le prix du sacrifice demande
l’enfant du peuple de paysans
fedayins & commerçants
qui n’a jamais rêvé de dormir
ailleurs que dans sa maison
insensible à l’appel du grand
large

une vie à l’ombre d’elle-même
tenue en joue par des tireurs
d’élite & des gosses de vingt ans
harnachés de mort pendant que
psalmodient les hommes à
papillottes & les croyants en
le retour de Dieu-le fils-crucifié-
sur-la-croix

(Chaos, Crossing)

Démarche scientifique

Les adieux au revoir à 
bientôt ce n’est pas pour 
moi   ne sais pas ce qui
adviendra une fois la Gate
franchie la porte refermée
il y en a qui se sont absentés
quelques jours et n’ont jamais
pu revoir les orangers la 
maman  subitement déclarés 
étrangers à leur propre pays

il y en a qui se sont endormis
et ne se sont jamais
réveillés    remarquez pour
ceux qui ont dormi toute leur vie
ça ne fait pas beaucoup de 
différence   mieux vaut donc
adopter une démarche scientifique
faire preuve de circonspection

(Chaos, Traversée)

Sur Avenue of America

Sur avenue of America
mon destin a croisé
un histrion jouant
avec des tours d’or
semées entre greens
et derricks

au garde à vue
des généraux décorés
font le salut militaire
vite vite échapper
à ses doigts boudinés

(Chaos, Crossing)

Langue des signes I

Ce n’est pas    
que    
je ne crois
plus
aux mots 

je cherche une forme    
qui    
parle aussi
instantanément
que
bleu IKB de Klein* 

enfant il avait rêvé
de signer
au dos du ciel   

je cherche quelque chose  
qui      
crie aussi fort    
que     
James B. le Refus
I am not your Negro

*International Klein Blue, procédé par l’artiste plasticien Yves Klein qui associe le bleu outremer synthétique à un liant choisi avec l’aide du marchand de couleurs Edouard Adam.

(Chaos, Traversée)

Langue des signes I

C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table

virus  trombes d’eau  & fumées
submergent poumons et télés

les dromadaires même
n’ont plus ni bosse ni graisse

les vieux fantômes se rassemblent
aux portes de la ville

d’une certaine façon c’était plus
facile au temps des certitudes

pas encore trouvé
par quoi les remplacer

*Louis Aragon, « Est-ce ainsi que les hommes vivent », Le Roman Inachevé

(Chaos, Traversée)

Voyageur sans bagage

Il n’y a plus que la route
et ce pays qui ne veut pas de moi
voyageur sans bagage
Aux jeux de la fortune
j’ai pourtant gagné
le temps infini de l’attente
du commencement
d’un commencement de lendemain

L’attente la demeure
où je me réinvente
mutant-cabossé
aux friches de vos vies

(Ton nom de Palestine, Partie II)

L’avenir est un rêve

Lorsque la nuit tombe et que nous dormons
des hommes et des femmes se lèvent furtivement

L’avenir est un rêve qui galope devant eux
son halo lumineux éclaire la nuit sauvage

Vague après vague ils avancent pas après pas
ils labourent les terres d’Europe les chemins écarté

Familiers de l’enfer ils avancent avec la mort pour
compagne
les matraques et les loups à tous les carrefours

C’est la fin de l’été les oiseaux se rassemblent
eux remontent vers le Nord

Implorant le ciel de les mener à bon port là où les attend
ce rêve qui galope devant eux

Ce rêve d’une vie belle qui un jour les a visités
et ne les a plus jamais quittés

(Ton nom de Palestine, Partie II)